Un article de Sylvain Tesson
Il y a les armes de destruction massive qui n'existent
pas, celles qui existent bel et bien, et celles qu'on trouve dans la
grande distribution. Le dimanche, virée en famille au Jardiland du coin.
On achète des plantes, des graines pour le hamster du petit, un poisson
rouge (le précédent est mort la veille), du désherbant et un peu
d'anti-limaces.
Le
soir, on lira aux enfants les jolies histoires d'Antoon Krings pour
qu'ils s'endorment en rêvant de Mireille l'abeille, Siméon le papillon,
Léon le bourdon. Mais pas un mot sur l'extermination par papa et maman
dans le gazon familial des petites bêtes bien réelles qui auraient pu
continuer à y vivre. On devrait toujours lire la composition des
produits de jardinage. Sur le dessus de la boîte, des limaces
plantureuses et des rosiers éclatants. Au verso, une liste d'ingrédients
à frémir: nitrate de baryum, soufre trituré ventilé, gaz SO2,
diflufénicanil oxadiazon, mercaptodiméthur, phosphate férique,
cyperméthrine...
A
haute voix, l'énumération a des airs d'antipoème de Prévert. Parfois,
des mentions euphémiques et paradoxales accompagnent ces gracieusetés:
"ne pas traiter en présence des abeilles" ou "attention, ce produit peut
porter atteinte à la faune auxiliaire" (sic!) ou "ne pas traiter sur un
terrain risquant un entraînement vers un point d'eau". Les carrés
rouges indiquant qu'il s'agit de produits toxiques aux irrémissibles
effets environnementaux sont imprimés en minuscule sur le fond du
paquet, à côté du prix à payer. Qui n'est pas le bon. Car le vrai prix,
c'est la nature qui s'en acquitte.
A force d'épandre ici et là
des anti-liserons, anti-mousses, anti-algues, anti-lichens,anti-ronces,
anti-chardons, anti-pucerons, anti-chenilles, anti-taupes, anti-souris,
anti-volants, anti-rampants, anti-tout pour obtenir des jardins aussi
tristes qu'une moquette, c'est la totalité du territoire qu'on
empoisonne et le printemps qu'on rend silencieux. Conseil aux
jardiniers: pour faire des économies, coulez une dalle de ciment sur
l'herbe.
Les analystes politiques ne cessent de proclamer qu'il
faudra des décennies pour réduire l'impact écologique de l'industrie
lourde, de l'agroalimentaire, de la surpêche... Soit. Visons donc de
modestes objectifs et exigeons l'interdiction de la vente libre de
tonnes de poisons à des millions de particuliers désireux de tenir leur
jardin en laisse. Bayer CropScience, Fertiligène, BHS, Capiscol et
Monsanto ne feront point faillite parce qu'on épargne les pissenlits. Ou
alors, il faudra modifier les histoires qu'on raconte aux enfants. Leur
dire la guerre chimique qu'on pratique dans les gazons et leur décrire
les petites bêtes succombant aux hémorragies, trouble du système nerveux
et autres raffinements concoctés pour la gloire du jardin moderne. Ou
encore, il faudra leur expliquer qu'en plus de polluer, on les trompait
lorsqu'on leur racontait des histoires au lit, le soir.
Sylvain Tesson est géographe et écrivain (récits d'aventures).
L'article "jardiner tue" ici.