Quand jardiner ... tue

Un article de Sylvain Tesson
 
Il y a les armes de destruction massive qui n'existent pas, celles qui existent bel et bien, et celles qu'on trouve dans la grande distribution. Le dimanche, virée en famille au Jardiland du coin.
On achète des plantes, des graines pour le hamster du petit, un poisson rouge (le précédent est mort la veille), du désherbant et un peu d'anti-limaces.

A haute voix, l'énumération a des airs d'antipoème de Prévert. Parfois, des mentions euphémiques  et paradoxales accompagnent ces gracieusetés: "ne pas traiter en présence des abeilles" ou "attention, ce produit peut porter atteinte à la faune auxiliaire" (sic!) ou "ne pas traiter sur un terrain risquant un entraînement vers un point d'eau". Les carrés rouges indiquant qu'il s'agit de produits toxiques aux irrémissibles effets environnementaux sont imprimés en minuscule sur le fond du paquet, à côté du prix à payer. Qui n'est pas le bon. Car le vrai prix, c'est la nature qui s'en acquitte. 

A force d'épandre ici et là des anti-liserons, anti-mousses, anti-algues, anti-lichens,anti-ronces, anti-chardons, anti-pucerons, anti-chenilles, anti-taupes, anti-souris, anti-volants, anti-rampants, anti-tout pour obtenir des jardins aussi tristes qu'une moquette, c'est la totalité du territoire qu'on empoisonne et le printemps qu'on rend silencieux. Conseil aux jardiniers: pour faire des économies, coulez une dalle de ciment sur l'herbe. 

Les analystes politiques ne cessent de proclamer qu'il faudra des décennies pour réduire l'impact écologique de l'industrie lourde, de l'agroalimentaire, de la surpêche... Soit. Visons donc de modestes objectifs et exigeons l'interdiction de la vente libre de tonnes de poisons à des millions de particuliers désireux de tenir leur jardin en laisse. Bayer CropScience, Fertiligène, BHS, Capiscol et Monsanto ne feront point faillite parce qu'on épargne les pissenlits. Ou alors, il faudra modifier les histoires qu'on raconte aux enfants. Leur dire la guerre chimique qu'on pratique dans les gazons et leur décrire les petites bêtes succombant aux hémorragies, trouble du système nerveux et autres raffinements concoctés pour la gloire du jardin moderne. Ou encore, il faudra leur expliquer qu'en plus de polluer, on les trompait lorsqu'on leur racontait des histoires au lit, le soir.


Sylvain Tesson est géographe et écrivain (
récits d'aventures). 

L'article "jardiner tue" ici.

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